L'ambivalence

Naissance publique - L'ambivalence maternelle

Le matin, il y a des petits rituels qui me mettent en joie. L’odeur du café en fait partie. Le réveil des enfants aussi. Pour moi, ce sont deux plaisirs minuscules qu’aurait pu décrire Philippe Delerm et qui conditionnent le début de ma journée. Une journée qui démarre toujours de la même façon. Réveil le plus tard possible, horloge repoussée au max parce qu’allez on tente, si je gratte 2 minutes de plus est-ce qu’on sera en retard à l’école ? La douche, Ulysse qui se réveille pendant que je m’habille, j’entends « maman », je lui dis que j’arrive, je finis de m’habiller et je vais plonger ma tête dans son cou pour le respirer encore et encore.

Et c’est à ce moment précis que ma journée bascule, ou pas.

Le chaud et le froid. Un petit souffle qui te glisse dans le cou. Des opposés qui s’attirent.

 

L’ambivalence maternelle.

On écrit beaucoup à son sujet en ce moment. Elle n’est pas nouvelle pourtant.

L’ambivalence maternelle, c’est ce sentiment schizophrénique qui fait que tu jettes d’épuisement ton enfant à l’école le matin et à peine l’école derrière toi, tu as hâte que la journée se termine pour aller le récupérer et qu’il te saute dans les bras. De retour à la maison, après un trajet retour de quelques minutes seulement, les chaussures à peine enlevées, tu te dis « putain, il reste deux heures avant le coucher ». Une fois au lit, tu penses à ton petit rituel à venir du matin, ce moment où tu sentiras son cou et qu’il te fera un câlin, très fort, au réveil. Avant de le jeter d’épuisement à l’école.

L'ambivalence maternelle, c'est se souvenir très précisément de cette photo, la regarder avec amour et vouloir que rien ne change, jamais. C'est aussi se souvenir que quatre minutes après l'avoir prise il y a eu des cris et des bouderies parce que ce n'est pas ce déguisement là que Roméo voulait, et d'ailleurs pourquoi on ne fêtait pas Halloween chez papy et mamie, c'est trop nul d'être à Paris. Et Ulysse avait trop chaud, et il voulait aller devant sur la photo. N'en retenir que l'essentiel, j'ai une photo que j'adore et qui atteste qu'on passait tous un bon moment. C'est bien ce qui compte, non, pour s'en souvenir plus tard ?

L’ambivalence maternelle fait intrinsèquement partie de mon quotidien de femme et de mère. Le matin elle apparait, environ un jour sur deux, très exactement 20 à 25 minutes après m’être réveillée (ça dépend si je me lave les cheveux et si ma douche dure donc plus longtemps toussa toussa. Voilà).

Parce qu’un jour sur deux, ou quatre sur cinq c’est selon, quand il m’appelle, je sais que le son de sa voix va conditionner ma journée. Ou du moins ma matinée, parce qu’on oublie vite après tout. Très souvent il m’appelle en criant, et il n’y a déjà plus rien à faire. J’ai mis trop de temps à venir parfois. Souvent, il n’a simplement pas envie. De quoi, je n’ai pas encore trouvé. Et il crie. « Non ». Alors je pars. Et il crie « viens ». Alors je reviens et j’essaie de lui parler. Mais il crie encore plus fort et ne m’écoute pas. Il ne s'est passé que quelques minutes mais déjà, j'ai hâte.

Hâte qu’il soit 8h30 et qu’ils soient déposés à l’école. Le week-end, je compte les heures avant le coucher du dimanche soir, en me disant que demain l’école reprend et que tout ira mieux. Souvent, j’en ai tellement marre que j’ai hâte qu’ils n’habitent plus à la maison. Et puis ils partent à l’école. Et puis le coucher du dimanche soir arrive. Et puis je réalise que Roméo, à 7 ans, a déjà des airs d’ado, des pieds beaucoup trop grands et des expressions de petit adulte. Et je commence à avoir peur. Peur de cette vie sans eux, quand ils seront partis, quand ils n’auront plus besoin de moi, quand ils feront comme on fait malgré nous, appeler nos parents une fois toutes les trois semaines. Et l’idée d’être éloignée d’eux me fait terriblement mal. Parce qu’au fond de moi, je ne veux pas qu’ils grandissent. Je veux égoïstement qu’ils continuent de dépendre de moi, de se fier à moi, de répéter les mimiques et les expressions qu’ils me voient prendre. Qu’ils ne me remplacent pas par une autre. La satisfaction maternelle. Je sais bien pourtant, on ne fait pas des enfants pour soi.

 

Je n’ai pourtant jamais regretté d’être mère.

J'aurais certainement et paradoxalement trouvé ça plus sain d'être confrontée au regret maternel. Me questionner sur ma maternité, me demander si ma vie aurait été différente, plus libre, plus simple sans mes enfants. Je me questionne sur ma maternité, mais je n'ai jamais fait face au regret. Cette ambivalence des sentiments est tellement ancrée en moi que je n'imagine plus les choses autrement. Ça ne serait plus le chaud ou le froid, mais le chaud sans le froid, ou le froid sans le chaud. Ça ne serait pas moi.

J’ai su depuis longtemps que c’était ancré au plus profond de moi. La maternité, cette chose à laquelle j’ai réussi à accéder moi aussi, et qui m’a pourtant longtemps semblé inaccessible. Une réalisation qui allait bien au-delà des quêtes professionnelles, de l’envie de progresser et d’être reconnue dans mon travail (le regard des autres, toujours). Parce que j’ai toujours trouvé ça fou que la vie d’une petite personne dépende entièrement de nous. Parce que j’ai toujours voulu être entourée de petits êtres bruyants et rigolos à mes côtés.

Et ce n’est ni facile de se l’avouer sans culpabiliser, ni facile d’en parler aux autres. Je repense souvent à cette phrase tellement maladroite prononcée un jour par mon père, alors qu’il devait surveiller les enfants et qu’il m’a balancée en pleine gueule, comme pour se soulager de son erreur à lui : « Quand on fait des enfants, on s’en occupe ».

On nous rebat constamment les oreilles que la maternité est un épanouissement, une fin en soi, la consécration pour une femme. Alors accepter de ressentir des sentiments négatifs pour ses enfants reviendrait à avouer au monde qu’on est une mauvaise mère. Pire, qu’on a échoué dans cette représentation de l’idéal féminin.

En fait, je fais simplement face à une chose puissante, contre laquelle on ne peut sans doute rien et qui, finalement, doit bien être naturelle chez l’être humain : j’aime mes enfants autant qu’ils m’insupportent. J’ai envie de les voir autant que je ressens parfois le besoin d’être loin d’eux. Ces sentiments négatifs m’aident certainement à me rappeler que je sis une mère, mais aussi une femme. Ce qui est dérangeant pour moi, c’est la vitesse à laquelle ces opposés s’attirent. Passer du chaud au froid en permanence. Avoir le sentiment d’être une personne inconstante.

Je suis une femme. Je suis une mère.
J’ai construit Naissance publique sur un oxymore, pour raconter également les contradictions de la maternité. Des contradictions que j’apprends à apprivoiser, mais que j’ai longtemps cru être la seule à ressentir. Mais je ne suis pas seule, je le sais maintenant. Je l'ai lu, je l'ai entendu.

Je suis une femme. Je suis une mère.
Je fais face à l’ambivalence maternelle.

Souvent je la compare au « je t’aime, mais je te quitte » d’une relation amoureuse.
Sauf que cette fois il n’est pas question de se quitter. Un aller sans retour.

Vivement l’odeur du café du matin.

 

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(J'ai cherché un visuel façon "mi ange, mi démon" et je n'en ai pas trouvé. Le seul qui me soit venu à l'esprit est la tenue de cabaret bi-goût de la copine d'Emily in Paris, alors à défaut je poste un visuel qui parle de lui-même. Le couteau c'est cadeau.)


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1 commentaire
  • Quelle plume ! Merci pour cet échange

    Ferjani le

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