Il y a quelques semaines, comme beaucoup de Parisiennes je crois, j’étais au Trianon pour voir Clémentine et Bliss Stories sur scène.
Je suis arrivée face à une queue incroyable de femmes. Des centaines de mètres de queue. Des amies venues entre elles. Une soirée de copines, entre copines.
Et moi, j’étais seule.
Et j’ai réalisé dans la queue qu’en fait, j’étais sûrement la seule à être seule. Et que c’était sûrement bizarre d’ailleurs, d’être venue seule ce soir-là. Le pire c’est que je n’étais pas seule par dépit, mais parce que je n’avais même pas pensé à le proposer à des copines. J’y suis allée seule car la soirée Bliss c’était mon petit kiff perso, mon moment à moi, j’avais acheté ma place quelques secondes après l’ouverture de la billetterie, puis j’ai laissé la soirée de côté jusqu’au jour J.
On a discuté dans la file, c’était bonne ambiance, beaucoup étaient venues entre copines ou entre collègues, il y avait plein de femmes enceintes, et c'est à ce moment que je me suis que quand même c’était con de ne pas partager ça avec mes copines.
Alors j’ai passé en revue mes amies, comme ça, pour voir.
Il y a les copines parisiennes avec des enfants, qui auraient adoré être là.
Il y a les copines de toujours, nos maternités rapprochées et nos 10 bébés à nous 4, qui ont quitté Paris et que j'aurais aimé avoir à mes côtés.
Il y a celle dont la DPA était à quelques jours de la mienne et qui m'a coaché pendant des heures et des heures par téléphone, quand j'appréhendais la naissance de Roméo et que Bliss n'existait pas encore. Elle qui "l'avait déjà fait" et dont je buvais chaque parole.
Il y a celle qui a fait sa première écho et qui a découvert deux bébés d’un coup.
Il y a celles qui sont en train de couver un bébé à deux mamans, après un parcours de PMA plutôt rapide finalement.
Et puis il y a ma famille, mes soeurs, la vraie et les autres. Ma belle-soeur qui a 4 enfants et celle qui a découvert la maternité par l’adoption. Ma soeur, qui a été contrainte d'accoucher à 7 mois de grossesse d’un bébé pas viable, putain de spina bifida, et qui s’est relevée, la tête haute, quand le temps avait fait son effet et qu’elle était prête, même si rien ne s’oublie.
Il y a toutes ces amies avec des parcours de maternité plutôt simples et évidents, moi y compris.
Et puis il y a toutes celles qui n’auraient certainement pas aimé être là ce soir-là. Celles qui aiment leurs enfants plus que tout, mais qui ne veulent pas que leur vie se résume à la maternité. Il y a aussi celles qui aiment leurs enfants plus que tout, mais qui n'osent dire qu'à demi-mots qu'elles regrettent leur vie d'avant et que si c'était à refaire, elles ne seraient pas sûres de vouloir des enfants.
Et puis il y a celles pour qui la maternité n’est qu’une lointaine option, quelque chose de parfois douloureux et qu’on évite d’aborder.
Il y a celle qui a « passé son tour » et qui ne sera jamais mère alors qu’elle le désirait si fort. Elle qui a traversé toutes les épreuves de la non-maternité uniquement grâce à un amour et un soutien plus solides que tout.
Il y a celle qui a fait le choix douloureux de quitter la personne qu’elle aime, parce qu'elle sait que leurs désir et non-désir d’enfant prennent trop de place et ne se rejoindront jamais. Elle ne pourra pas vivre sans enfant, c'est viscéral, ça ne s'explique pas. Alors elle le quitte, même si elle l’aimait très fort.
Il y a celle qui a fait congeler ses ovocytes à Barcelone, parce qu’on lui rappelle que le temps passe et nous presse, et qu’elle ne veut pas passer à côté de la maternité si celle-ci l’appelle un jour.
Il y a celle qui a également fait congeler ses ovocytes, en France, à cause d’un fichu cancer du sein apparu comme ça du jour au lendemain. Une boule. Une boule qui n’est plus là, mais un traitement qui l’empêche de « prendre le risque » de faire un enfant pendant les 3 prochaines années. Une maternité qui s’éloigne.
Et puis il y a elle. Celle qui n’en finit pas de ce combat acharné contre elle-même, contre son corps qui ne veut pas lui accorder ce qu’elle attend. J’veux un enfant. « J’veux dans mon corps sentir le sang. La vie dedans. » Ces paroles d’Aurélie Saada qui me font pleurer à chaque fois. Ce combat de tous les jours, les piqûres à heure fixe, notre amitié qui s’éloigne parce que c’est devenu trop dur pour elle de voir la maternité chez les autres. La gravité qui s’est installée, l’insouciance envolée. Les blagues du début, les "imagine je n'arrive pas à tomber enceinte", les mois qui passent, la réalité à accepter. Et puis le temps (la) presse, aussi. On lui demande gentiment « C'est pour quand le bébé ? Tu n'en veux pas ? ».
Et moi, je n’ose plus en parler. Elle s’est protégée en s’éloignant. Je la sens m'échapper et je ne sais plus comment la rattraper. Je n'ai aucune idée de ce qu'elle endure ni de ces jours qu'elle compte. Je ne trouve plus les mots. J'ai mal pour elle.
Il n’est pas si loin pourtant, ce temps où on montrait nos seins aux voisins par la fenêtre, parce qu’on était bourrées et qu’on rigolait. Quand le corps n’était encore qu’un objet de fantasmes et un jeu. Quand on était à mille lieues de s’imaginer cette vie de grandes, ce corps à qui on demanderait de rendre des comptes, de fonctionner comme il faut.
Elle. Cette amie à qui j’ai pensé souvent, très souvent ce soir-là au Trianon. Cette amie avec qui je rêve secrètement de revenir, main dans la main, pour célébrer, ensemble, une maternité singulière et bouleversante. Une maternité qui nous rassemblerait de nouveau. Sa maternité.