La connasse

Non la grossesse n'est pas une maladie, non la femme enceinte n'a pas à s'excuser d'être enceinte

J'aurais pu écrire "la maladie", mais ça aurait été trop et puis surtout ça aurait spoilé mon histoire. Attention toutefois à la déception, c'est long mais la chute n'est pas dingue, je n'ai pas réussi à en inventer une belle. Sorry not sorry.

Mai 2018, on passe quelques jours à Marseille chez ma soeur. On vient de passer la journée sur les Iles du Frioul, avec nos enfants & nos parents, c'était canon. On fait la queue pour prendre le bateau et rentrer à Marseille, le soir. Je suis enceinte d'environ 4 mois, même si dans mon souvenir j'étais à plus de 7 mois. C'est fou comme les pensées se travestissent parfois.

Il fait chaud, il n'y a pas d'ombre, on patiente debout, à la queue leu leu dans une file interminable et qui semble ne jamais avancer. Ça fait déjà plus d'une heure qu'on patiente, Roméo et Célestin sont fatigués, énervés, ils ont du mal à patienter. Moi je suis donc enceinte de 7 mois dans ma tête et je ressens également beaucoup d'impatience. On nous a toujours appris à rester à notre place, à ne pas déranger, je n'ai donc jamais réussi à dire à aucun moment de mes grossesses "pardon est-ce que je peux passer svp, je suis enceinte j'ai du mal à rester longtemps debout". Celles qui savent, savent. J'espérais pourtant au fond de moi qu'on m'expédierait tout à l'avant de la queue dans une haie d'honneur et une ola généralisée. Je porte la vie quand même.

Un couple d’une soixantaine d’années, randonneurs du bitume avec des bâtons et des sacs à dos commence à doubler tout le monde depuis la fin de la queue. Vous savez, ces personnes qu'on repère de très loin et à qui on a envie de dire "mais tu n'es pas sérieux là quand même ?". Ils avançaient en parlant aux gens l’air de rien, faisaient de grands sourires et continuaient d'avancer. Technique extrêmement bien rodée et qui ne laisse place à aucune hésitation dans le geste ou la parole. Ceux qui patientent dans la queue les voient faire, sont certainement pris entre l'agacement et la fascination d'oser faire ce que le commun des mortels n'oserait pas faire (mais ça doit être grâce à cette chose qu'on appelle le respect), mais ne disent rien. Notre couple remonte 1 heure de queue en 4 minutes chrono. Belle perf' comme on dit. Et finissent par arriver à notre hauteur, forcément. La dame essaie de nous doubler. Evidemment, étant perpétuellement tiraillée entre meuf qui se croit dans le ghetto et petite fille sensible qui ne supporte pas l'injustice, je ne la laisse pas passer. Je prends mes airs de fausse racaille (ceux qui savent, savent. Bis) et lui dis "non mais tu ne crois pas que tout le monde t’a grillée là, et tu ne vois pas que je suis enceinte, t'es sérieuse tu veux vraiment passer devant moi ?".

J'étais assez fière de ma phrase, je pensais qu'elle allait se mettre à genoux et me dire "oh pardon madame je suis vraiment désolée j'ai honte, pardon, vous m'avez ouvert les yeux, évidemment je vais rester derrière vous". Mais au lieu de ça, et comme sorti de nulle part, elle m'envoie simplement : « c’est pas de ma faute si t’es malade ! »

Véridique. Juré. Moi qui pensais avoir de la répartie, je n’ai même pas pu lui répondre. Sophie a éclaté de rire. On en reparle encore aujourd’hui, c'est devenu un running gag. Même si moi je me mords toujours les doigts d'avoir été tellement abasourdie devant sa répartie à elle.

Voilà, l'histoire s'arrête là, mais je poursuis quand même pour la fierté familiale. Baligh, mon latin lover au sang chaud de beau-frère, a quand même failli se battre quand le mari de la dame en question en a remis une couche. Je ne sais en revanche plus très bien ce qu'il m'a dit, mais je sais que ça n'a pas du tout plu à Baligh. À ce moment j'ai réalisé que nous n'étions plus très loin de la fin de la queue, parce que le personnel de la compagnie des navettes nous a menacé de ne pas nous faire monter sur le bateau si on ne se calmait pas. Alors Baligh a chuchoté au mec « arrivés à Marseille, rendez-vous sur le Vieux port, juste toi et moi » pour que le monsieur du bateau ne nous entende pas. On aime beaucoup les îles du Frioul mais on était fatigués et on n'avait pas tellement envie de rester là car on sentait qu'il ne blaguaient pas trop. Alors on a baissé la tête et on est montés. On ne les a pas croisés pendant la traversée. On les cherchait pourtant. Et puis à peine arrivés, on les a vus descendre du bateau et partir en courant sur le Vieux port. On se console comme on peut.

Alors voilà, il n y' a ni chute ni morale à cette histoire, mais ce jour là j’ai cruellement manqué de répartie et j'ai laissé une connasse comparer la grossesse à une maladie. Et je me suis dit qu'il y avait encore beaucoup à faire pour éduquer les gens sur la maternité, si on voulait que les choses changent.

 

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(Et la photo, c'est donc une photo prise ce jour-là, sur les îles du Frioul. Je n'ai pas pensé à prendre d'autres photos.)


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