Ça parle d'une porte. Elle est fermée, et il faut parfois peu de choses pour qu’elle s’ouvre.
Hier soir en rentrant de l'école j’ai vu une femme âgée pleurer dans la rue. Elle était dans un "chariot-fauteuil roulant", je ne sais pas comment ça s'appelle. Je l'ai vue au loin. Elle était au milieu du trottoir, le visage enfoui dans ses mains. Tout le monde la contournait, personne ne s'est arrêté. Quand on est arrivés à sa hauteur, j'ai dû lui parler plusieurs fois pour qu'elle relève la tête. Elle pleurait, elle avait l'air épuisé, les yeux rouges et gonflés de solitude. Il y avait quelques courses dans son petit panier devant. De la nourriture pour chat et pour elle aussi. Je lui ai à nouveau demandé "ça ne va pas madame ?", elle m'a répondu qu'elle était épuisée. Qu'elle n'était pas triste, simplement seule et épuisée. Elle parlait tout bas, difficilement. Je lui ai demandé si je pouvais l'aider, faire quelque chose, l'accompagner. Elle m'a répondu que non, je ne pouvais rien faire, j'avais mes enfants dans les bras et dans la main, qu'elle avait besoin de quelques minutes encore. Mon coeur s'est soulevé, de ne rien pouvoir faire pour elle, et aussi de voir qu'elle était là dans l'indifférence générale. Mais putain, comment en sommes-nous arrivés à un tel niveau d'individualisme ? Comment laisse-t-on pleurer des vieilles dames au milieu d'un trottoir sans même essayer de leur parler ?
Ça parle d'une porte. Elle est parfois fermée, et il faut peu de choses pour qu’elle s’ouvre. Un regard, un sourire, un air entendu qui dirait « je te comprends, je te vois ». Je n’avais pas prévu ce billet et je sais que dans l’idée il n’a rien à faire ici. Il parle de porte fermée et de porte ouverte, pas vraiment de maternité, à peine de la marque. Il est décousu, comme à mon habitude. La dame m'a souri, m'a dit merci de lui avoir parlé, et aussi que je devais m'occuper de mes deux petits garçons ou une phrase dans le genre.
J’ai beau souvent dire « on » quand je parle de Naissance publique, en vérité je suis seule. Très seule. J'ai passé 18 mois de questionnements, d’apprentissages, d’incompréhensions parfois, de hauts, de bas, de doutes. On m’a même appris à toujours donner le change et à apporter une réponse de Normand (pardon hein pour les Normands, mais l'expression est là) qui consiste à répondre systématiquement « je ne me plains pas » à chaque fois qu'on me pose la question « Alors, ça marche ta marque ? Tu es contente ? ». "Je ne me plains pas". C'est évidemment une question pleine de bonnes intentions, l'envie de savoir que tout va bien, de rassurer l'autre, mais pour reprendre une autre expression que j'aime beaucoup... "ceux qui savent, savent". Bah non, je ne peux pas dire que ça marche ! J'ai 3 mois d'existence, personne ne me connait encore, je n'ai pas de boutique physique pour que les gens puissent essayer les vêtements, je perds de l'argent tous les jours tant les charges sont énormes et tant qu'on n'est pas plongé dedans, on ne peut pas s'en rendre compte. Qu'espérez-vous comme réponse les gars ? "Mais grave, j'ai tout vendu en 24 heures c'est incroyable je lance une nouvelle collection dans une semaine" ? Bah non. Et dans ces cas là, je me sens encore plus seule. Très seule. Bien sûr Yann est là, me soutient, m’encourage, y croit pour moi quand c’est trop dur et que j’ai envie de baisser les bras.
18 mois de travail avant la naissance de la marque. C’est long. Ça force l’interrogation et parfois le respect aussi quand je me dis que oui, je l’ai fait malgré tout. Hier, j’étais à un salon et j’ai rencontré des entrepreneures qui, d’elles mêmes, m’ont confié leur solitude. Alors qu’on ne se connaissait pas. Comme un besoin de se rassurer, de savoir si c’est normal de passer par là et de vérifier que nous sommes tous (toutes) plongé.e.s dans le même état. Comme j'aime les parallèles, j'en ai dressé un avec la maternité, avec tout ce qu’on ne nous dit pas assez et cette fameuse injonction au bonheur permanent. Bah non. Parfois c’est dur. C’est pas comme on le pensait. Des fois c’est mieux, mais des fois on est déçue aussi. Mais quoi qu'il arrive, on n'est jamais vraiment préparée. Il y a une part d'inconnu assez excitante malgré tout, dans la maternité comme dans la création d'entreprise. Je suis toujours assez partagée entre mon désir de connaissance et mon besoin de naïveté. Ces personnes vraiment chouettes rencontrées hier m’ont donné envie « d’en être », de faire partie d’une famille qui, ça se voit, déborde de bienveillance et de sororité. Pour s’en souvenir les jours où ça va moins bien. Pour savoir que quoi qu'il arrive, on n'est pas seule.
Hier soir en rentrant de l'école j’ai vu une femme âgée pleurer dans la rue et c’est égoïste, mais j’ai réalisé que j’avais deux enfants avec moi et un mari pas loin. Une famille à moi, et une famille professionnelle à construire. Que je n’étais pas seule.
Ça parle d'une porte. Elle s'est ouverte.