Se pose alors le choix du (pré)nom.
Les listes qu’on remplit, les négociations qui s’annoncent, les prénoms de cœur qu’on garde dans la tête depuis toujours. Ceux qui se jouent à pile ou face et ceux qu’on ne peut pas utiliser parce que ça nous rappelle une vie d’avant. C’est dommage, on les aimait tellement ces prénoms. Il y a aussi ceux qu’on trouve trop mignons, mais est-ce qu’on a vraiment envie que ça soit mignon ?
C’est important un prénom, ça conditionne. Une façon d’être, une époque. On se demande parfois si on peut réellement choisir avant d’avoir rencontré son enfant, parce qu’ « imagine, ça ne va pas avec sa tête ». Sauf qu’une tête de nouveau né, c’est souvent assez similaire à une autre tête de nouveau né, en vrai. Je me souviens qu’à la naissance d’Ulysse la sage-femme m’avait demandé comment on avait choisi de l’appeler. Je n’osais pas trop le dire, comme si je n’étais pas très sûre, comme si Yann et moi on n’en avait jamais vraiment parlé. Bien sûr que je le savais, pour la vie et depuis nos vacances en Grèce, l’été juste avant sa naissance. L’île de Pontikonissi qu’on a trouvée sublime et qui, selon la légende, serait le bateau d’Ulysse qui se serait transformé en pierre (et la pierre est devenue île) lorsqu’il a voulu retourner à Ithaque après ses dix années d’errance. Ithaque, l’île d’Ulysse le roi, qu’on avait seulement vue de loin et qu’on s’est promis de visiter un jour tous les quatre. Alors bien sûr que je le tenais dans mes bras ce 23 octobre et je savais qu’il s’appelait Ulysse.
C’est comme un nom de marque. Est-ce qu’il faut être consensuel, rebelle, dans l’air du temps ? Il faut analyser la perception des autres, tester, voir ce qu’il évoque avant d’être bien sûr. Naissance publique est devenu une évidence le jour où j’ai enfin compris que je ne pourrais pas remporter l’adhésion, et que si moi j’étais sûre du nom, il devrait aussi s’imposer chez les autres. Que j’allais dire « la marque s’appelle Naissance publique » et qu’on allait me répondre « ok ». Comme s’il s’agissait du prénom de mon enfant, qu’on n’aurait pas osé questionner. Parce qu’il fallait choisir. Et Naissance publique, ça dit tout ce que je voulais que cette marque raconte : le décalage, la fausse simplicité, l’engagement et les contradictions.
Il y a aussi les signes qu’on a envie de voir et ce qu’on veut transmettre à nos enfants. Roméo, notre garçon sensible au grand cœur. Ulysse le rusé, l’aventurier, l’indépendant. Au-dessus de son lit, j’ai accroché une photographie de caravane que j’aime tant et un mobile fabriqué avec des mappemondes, comme un rappel et une injonction à être ce que son prénom lui dicterait.
Et puis j’ai justement retrouvé des notes au sujet du prénom, qui disaient exactement : « Le choix d’un prénom est-il déterminant pour l’enfant ? Aujourd’hui on sort du confinement. Ça n’a rien à voir, mais je me souviendrai de cette date, de cette conversation. 11 mai 2020. Roméo m’a dit aujourd’hui qu’Ulysse avait trop de chance de s'appeler Ulysse. Alors ce 11 mai 2020, je lui ai expliqué à quel point son prénom à lui lui allait si bien. Je lui ai rappelé notre voyage à Vérone, le pèlerinage sous le balcon de Juliette, les tee-shirts Roméo & Juliette qu’on s’était achetés lui et moi. Sa sensibilité, son attention, son imagination qui me fascine, son amour des autres. L’Italie qu’on adore. L’amour entre son papa et moi, sa conception inimaginée 3 mois après notre rencontre, l’évidence. Nous, lui. Nous 3 et maintenant nous 4. Il m’a répondu qu’il avait beaucoup de chance et qu’il aimait son prénom. Je ne sais pas s’il m’a dit ça pour me faire plaisir, il est tellement parfait. Mais moi, je sais bien que son frère et lui n'auraient jamais porté d’autres prénoms aussi bien que ceux qu'ils portent."
Pour la joliesse de l’histoire, j’ai évité de lui dire cette fois-là qu’on avait eu l’idée de son prénom en regardant une vitrine de magasin de souvenirs à Arcachon. La vitrine était remplie de bols bretons. Un côté pour les filles, un côté pour les garçons. Ma belle-mère nous a dit en rigolant « fermez les yeux et choisissez un prénom au hasard ». On a trouvé ça drôle, on l’a fait. On ne se souvient plus du prénom si ça avait été une fille, mais à droite de la vitrine, côté garçons, notre doigt s’était arrêté sur Roméo. C’est con comme parfois ça tient à peu de choses. On a bien sûr acheté le bol, plus tard, ailleurs. Ulysse a le sien aussi.
Et un an plus tard, je sais aussi que Naissance publique n’aurait pas pu s’appeler autrement. C’est à mes yeux le plus bel oxymore, la plus belle manifestation des contradictions de la maternité. Et un peu des miennes aussi, certainement. Je n’ai pas encore trouvé le bol avec son nom dessus.
Comme c’est beau ma sœur. Baligh m’a dit « lis le c’est tellement bien écrit j’ai les larmes aux yeux …. »